L’Esprit de mes pères
Lecture Osiris
Au chevet de son père mourant, un jeune écrivain argentin découvre que son père nourrit depuis des années une véritable obsession pour un homme assassiné dans de mystérieuses circonstances en 2008. Sans le vouloir, il se lance sur les traces de son histoire familiale en cherchant à comprendre pourquoi son père traquait le moindre indice concernant ce fait divers. D’une écriture incisive, presque chirurgicale à la façon d’un Truman Capote, Patricio Pron met en scène les malaises d’une société argentine toujours malade de son passé. (Note de l’éditeur)
D’une certaine manière, L’Esprit de mes pères pourrait appartenir au genre policier. On y suit l’enquête sur un assassinat avant d’essayer de percer le mystère qui entoure la disparition de la sœur de la victime, 25 ans plus tôt, en plein règne de la terreur mis en place par la junte argentine. Mais le livre de Patricio Pron, très personnel, raconte avant tout la confusion d’une génération entière, née au pire moment de l’histoire de l’Argentine, une génération qui s’interroge sur l’héritage de cette période et sur les faits et gestes de ses aînés. La transmission est douloureuse et Patricio Pron restitue avec justesse les incompréhensions, les questionnements et les doutes qui assaillent ceux qui ont vécu, enfants, ces années de plomb. Le style du roman construit sur de courts chapitres – une page environ – balance entre la sécheresse des compte rendus d’articles de journaux et l’émotion qui affleure dans les moments de doute du narrateur et ce au gré des allers et retours incessants entre passé et présent le premier vampirisant le second.
Ce n’est plus son histoire ni celle de son père qu’il raconte mais la douleur de toute une génération d’enfants en attente de réponses, si douloureuses soient-elles.
Extrait :
Survint alors l’inattendu : ce dont j’avais essayé de ne pas me souvenir me tomba dessus avec une intensité inouïe, non plus de biais, comme les photographies floues que j’aurais rassemblées uniquement pour les ignorer, pour savoir que j’en disposais sans jamais avoir à les regarder, mais de face, avec la force dévastatrice du camion de pompiers que je voyais parfois quand j’avais forcé sur les comprimés. C’était là, tout simplement, et tout s’expliquait, la terreur que j’associais involontairement au passé – comme si autrefois nous avions vécu dans un pays du même nom ayant un drapeau qui aurait été un visage décomposée par l’effroi -, ma haine pour ce pays infantile et ma désertion, un exil qui avait commencé longtemps avant mon départ pour l’Allemagne où j’espérais tout oublier, ce que je réussis finalement. J’avais voulu croire que mon voyage était sans retour, sous prétexte que je n’avais plus de foyer, vu les conditions particulières dans lesquelles ma famille et moi avions vécu pendant une longue période, mais maintenant je me rendais compte que j’avais vraiment un foyer et que ce foyer était une somme de souvenirs qui m’avaient toujours accompagné, comme si j’étais un de ces escargots imbéciles que mon grand-père paternel et moi-même torturions quand j’étais petit. (p. 169-170).
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